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Au lendemain de cette journée pleine d'incidents, Imogène McCarthery se serait avouée plutôt déprimée si ce n'avait été le 24 juin, et pas un Ecossais au monde n'accepterait de croire à une défaite ou à un échec possible le 24 juin. Miss McCarthery se leva donc ce matin-là avec la même énergie que tous les autres matins de l'année et, en plus, une confiance revenue dans son droit et son succès final sur Aneurin Archtaft et John Masburry. Après avoir pris son thé, elle dérogea à ses habitudes en se taillant une belle tranche de haggis qui l'étouffa un peu, à vrai dire, mais qu'elle réussit à faire glisser grâce à un petit coup ae scotch qui, loin de lui troubler l'entendement, l'emplit d'une ardeur lui faisant souhaiter le combat. Devant la porte de l'immeuble, elle passa avec une telle hauteur devant Mrs Horner que celle-ci en blêmit de rage et qu'elle ne put s'empêcher de dire à Mrs Lloyd qui revenait ae chercher des biscottes ?
— Non, mais regardez-la ! Elle se prend pour sa Marie Stuart, ma parole ! Ah ! on voit bien que nous sommes le 24 juin. Heureusement que cela ne revient qu'une fois par an !
Pendant ce temps, sans se préoccuper des Mrs Horner et autres Mrs Lloyd, Imogène avançait dans Kings Road avec cette allure altière propre à ceux qui ont conscience de faire partie d'une classe privilégiée de l'humanité. Elle donna une demi-couronne de pourboire au marchand de journaux aveugle de Sloane Square en lui souhaitant une belle et bonne journée. Entrée dans l'abbaye de Westminster, elle alla déposer un bouquet sur le tombeau de la reine Marie d'Ecosse, un bouquet qu'elle avait composé aux couleurs de son tartan, puis gagna dans le transept sud le coin des poètes pour se recueillir devant l'effigie de Robert Burns et regretter, une fois de plus, qu'on lui ait donné pour voisines d'immortalité ces incroyables sœurs Brontë qui, aux yeux dlmogène, passaient pour des personnes pas très fréquentables même dans un autre monde. Enfin, ultime étape de ce pèlerinage annuel, miss McCartheiy pénétra dans la chapelle d'Edouard le Confesseur pour s'agenouiller un instant devant le fauteuil du Couronnement qui repose sur la « pierre de Scone » volée aux Ecossais par Edouard Ier en 1297 et qui avait valu des ennuis à Imogène en 1950.
A seule fin d'observer un rite que même la perspective d'un renvoi immédiat ne lui eût pas fait transgresser, miss McCartheiy flâna dans Whitehall pour arriver avec un quart d'heure de retard au ureau. Ses compagnes, depuis longtemps au courant, ne lui posaient jamais de question sur une inexactitude traditionnelle, mais Aneurin Archtaft ne pouvait pas admettre cette insouciance méprisante à l'égard des règlements qu'il était chargé d'appliquer. En gagnant sa place, Imogène le trouva sur son chemin qui, sa montre à la main, l'attendait :
— Miss McCartheiy, il est 9 heures 15 !
— Vraiment ?
— Vraiment ! Miss McCartheiy, ignoreriez-vous, par hasard, ou ne vous souviendiiez-vous plus que vous devez être ici à 9 heures ?
— En vingt ans, j'ai eu le temps de l'apprendre, monsieur Archtaft.
— Auriez-vous la bonté de me confier la raison de votre retard ?
— Nous sommes le 24 juin.
— En quoi est-ce que cette date vous autorise à ne pas tenir compte de l'horaire ?
— Mr Archtaft, si vous n'étiez un Gallois à demi inculte, vous sauriez que, le 24 juin 1314, Robert Bruce écrasa les Anglais à Bannockburn, assurant ainsi l'indépendance de l'Ecosse !
— Et alors ?
— Et alors, Mr Archtaft, ce ne serait vraiment pas la peine que Robert Bruce ait flanqué une correction aux Anglais pour qu'une Ecossaise soit obligée, le 24 juin, de se plier à des règlements esclavagistes inventés par ces mêmes Anglais ! Sur ce, je vous serais obligée de me laisser travailler.